Conversation avec la Léa
Propos
Avec Conversation avec la Léa, tout se concentre dans l’articulation du langage de la Léa, dans cette zone trouble et silencieuse due à sa surdité. Ses oreilles ne lui permettent plus d’avoir une ouverture sur le monde extérieur.
La Léa vit isolée.
Loin du monde extérieur, dans « sa montagne » durant six mois jusqu’aux premières neiges, le son tonitruant des cloches de ses vaches ne l’accompagnent ou ne la perturbent plus. Lorsque, rarement, des visiteurs s’approchent de son chalet, c’est qu’ils lui rendent visite et profitent de l’occasion pour lui acheter des tomes de vache, 100 % graisse animale et hors des normes européennes. Un commerce étrange se joue dans l’achat de quelques tomes. Tout se situe hors du mot, et hors de la Léa. J’ai été introduit dans sa cuisine par les femmes de ma famille. Un nouvel alphabet entre en scène et circule. La structure nécessaire du langage s’obscurcit. La Léa injecte et distille une contamination involontaire dans le langage. Je filme.
Ici, en Savoie, au-dessus du village de La Giettaz, se joue une transaction simple : c’est l’été et je suis chez la marchande de tomes et je viens lui acheter deux tomes. Cette simple transaction dure 25 minutes.
La performance dure 25 minutes.
C’est une invitation à l’ouïe. La performance, par la vidéo, invite le spectateur à entendre le monde silencieux de la Léa.
C’est la durée exacte d’un long plan-séquence rétroprojeté sur un écran ; l’image et le son sont restitués sans aucun montage.
Il s’agit d’un plan unique où la caméra DV (plus souvent à la main qu’à l’œil) a enregistré en temps réel ma conversation avec la Léa. Puis une machine à fumée actionnée par un acteur entre en scène et cache lentement l’image. La montagne nuageuse de la Léa disparaît dans un épais brouillard qui gagne le spectateur rendu soudainement aveugle. Il ne voit plus mais il entend toujours.