Carnet de voyage

Villa Médicis Hors les murs

Carnet de voyage

Voulez-vous une bonne recette contre la chaleur me dit l’ami qui me prête sa salle de bain et sa douche
Et tandis que je me déverse sur le corps un litre d’eau de lavande il ajoute
Vous ne voulez plus souffrir de la chaleur ? – il suffit de n’y pas penser
Je n’y pense plus
En effet
Le troisième jour je n’en souffre plus

Blaise Cendrars

Salvador (Bahia, Br, latitude 13°Sud)

J’ai une goutte de sueur qui s’engouffre dans mon dos.
la ville de Salvador me pénètre et lentement je me laisse pénétrer par elle.
Candomblé à Federação :
Ici, on ne bande pas, Monsieur, non, non, on prie…
J’entre dans la salle,
je marche sur un parterre de feuilles d’eucalyptus
l’odeur est enivrante
le soleil se couche
j’entre en transe
j’entre dans la transe
j’ose j’entre
j’m’en foutr’j’entre
transe s’en foutre
foutre d’la transe
danse le foutr’
à travers moi
à travers transe égal transe traversée
et entre transe et moi
et entre transe et transe
la transparence
rance
j’entre en rance
je rentre en France
j’ose
je rance
l’eau rance
l’eau danse
l’outrance, transe pourrie, transe qui pue
transe qui sue, transe qui suinte,
transe partout, transe toujours,
transe conspire à me nuire.

Revenu, transpirant, dégoulinant, mon corps chahuté.
Passent trois robes.
Le Dieu a voulu me prendre.
Des filles et des garçons s’approchent par bandes.
N’entrent pas dans la salle.
Restent à l’extérieur. Attendent et regardent.
Regardent par la fenêtre. Attendent la transe.
Vomi, vomi du presque rien, de la bile.
Rien ne passait dans l’estomac, tout s’est bloqué, le riz,
impossible de respirer,
pas d’eau dans la pièce,
uniquement des refrigerante.
Sergio me soutient.
Autour de moi la Mère des Saints et les Filles des Saints.
J’ai besoin d’eau
j’étouffe
le barrage du riz m’étouffe
j’ai envie de …
il faut trouver n’importe quel conduit pour ma respiration
dehors le feu
il a plu
je suis trempé par la pluie et autrefois, dans un temps proche, par la sueur
le Dieu a pénétré dans la pièce, couronne et attributs
L’ambiance s’est exaltée. Je me suis effondré sur le banc.
Je vois la main de Sergio.
Je ferme mes yeux. Les tambours frappent.
C’est le retour du Dieu. Un corps s’effondre près de moi et tombe en transe. Je respire fort. J’ouvre mes yeux.

J’ai
une boule entre les deux seins
sous la peau
qui bloque
qui stoppe
impossible d’avaler
le conduit est fermé
la boule revient
le conduit se ferme
ma respiration est coupée
je
me lève
me plie
en deux
à quatre pattes
je gerbe
dans les plates-bandes. J’ai tellement bouffé de cultes ici
que j’en ai la diarrhée et aucune possibilité de stopper l’hémorragie.
Les tambours, le vacarme des chantiers de partout
et les immeubles qui grimpent à vue d’œil.
Tempête
Le taxi évite les flaques.
Ce ne sont plus des flaques
de petits lacs
et des ruisseaux sur la chaussée qui la rendent dangereuse
L’océan furieux
Les réverbères sont encore éclairés. Nous roulons vers Rio Vermelho.
J’ai une goutte de sueur qui s’engouffre dans mon dos.

Gilles Pastor, juin 2007