Fermez vos yeux, Monsieur Pastor ! | Propos

Fermez vos yeux, Monsieur Pastor !

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Fermez vos yeux, Monsieur Pastor est un théâtre ludique de la maladie, une thérapie par l’art de la généalogie, où le mal qui nous habite est ausculté de l’intérieur pour produire une autofiction qui ne se contente pas d’être un théâtre solipsiste mais qui, bien au contraire, retourne l’intime pour le confronter à la culture, la culture qui intègre et ré-explore les mythes antiques, les textes grecs et romains, Euripide et Sénèque, pour une extériorisation et une tentative de mise à distance qui, paradoxalement, sont aussi une manière d’apprivoiser le mal, la maladie.
Théâtraliser la maladie, ouvrir les yeux sur le théâtre de la maladie, c’est donc à proprement parler tenter de réduire le pathos, le pathologique en le mettant en scène, en l’exposant, en rendant l’intime public, et en prenant conscience que cette intimité se partage et s’assume d’autant plus qu’elle s’inscrit dans une filiation prestigieuse (Héraclès), transhistorique, et que si la maladie vécue a tendance à nous isoler du monde, le jeu théâtral conforte un retournement et met la vie en sens, en jeu, dans une multiplicité, une complexité que le seul cadre familial ou médical ne soupçonne pas toujours. Gilles Pastor invite sa famille au théâtre, il nous invite à découvrir cette histoire, son récit, ses images, ses questions, ses doutes ; et cette histoire est tressée, tissée d’autres histoires, d’autres récits, d’autres images pour dévoiler un art qui traverse diverses pratiques, littéraires, théâtrales, sculpturales, picturales, cinématographiques, musicales… mais Fermez vos yeux, Monsieur Pastor rencontre aussi notre histoire, notre actualité.
Fermez vos yeux, Monsieur Pastor, le titre seul semble presque un « au revoir », un « adieu » tandis que le spectacle est un pari pour mettre en jeu un art de vivre au cœur même de l’épilepsie que les sociétés contemporaines ont tendance à trop individualiser pour ne pas reconnaître la vérité sociale qu’elle symbolise.
Fermez vos yeux, Monsieur Pastor est une œuvre stimulante au titre effroyable et dont le spectacle déploie pourtant une esthétique du regard et une esthétique des corps qui nous reconduisent aussi, à l’occasion, à la beauté grecque.

Stéphane Patrice,
Enseignant en Histoire et Philosophie du théâtre
à l’Université d’Evry Val d’Essonne